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Donnie

 nous voulions aller voir les ruines d'un village haida, et grâce à une dame fort aimable qui tient une boutique d'art haida à Old Masset, nous avons été mis en contact avec Donnie, qui nous a emmenés au village de Yan, de l'autre côté de la baie, dans un petit hors bord, samedi matin. Cela a été un grand moment.

Donnie est très beau. Il a vingt neuf ans, il est marié et a deux filles. Il danse, chante et sculpte, il donne des cours de chant et de sculpture, mais aussi de culture haida, il accompagne de son chant les rameurs dans des compétitions d’aviron, il pêche et chasse et il est au premier rang des manifestations contre les forestiers que, visiblement, il n’aime pas. Alors que nous sommes toujours sur le rivage, il nous chante un chant destiné à apaiser les Esprits, de ceux qu'il chante dans les fêtes, quand on érige un mât totem, et c’est très émouvant. Il a une voix magnifique qui a, pour nos oreilles, des sonorités et des accents très étranges : c’est un chant lent, grave et puissant. La traversée de peut-être deux kilomètres ne dure que quinze ou vingt minutes, mais donne a un peu de mal à approcher le bateau du bord encombré d’algues et de rochers : nous avions déjà mis les pieds dans l’eau pour monter dans le bateau, nous les remettons pour en sortir, avec beaucoup de gentillesse, Donnie prête son bras à Paule pour qu’elle ne tombe pas.

Il ne reste hélas pas grand-chose du vieux village qui se composait d’une vingtaine de maisons tout autour d’une belle anse de galets. Des totems poles ont été emportés ailleurs et remontés ici ou là, et les maisons ont été vaincues par le temps et les intempéries. Récemment les haidas ont remonté une maison longue et un mât totem de la même facture que les autres de Old Masset. C’est dans la maison que Donnie nous régale d’un autre chant, guerrier cette fois et assez sauvage : c’est un chant qu’il chante dans les manifestations contre les forestiers. Après le chant, Donnie se raconte, avec simplicité et conviction : il pourrait vivre mieux sans doute ailleurs mais il aime ses îles et son peuple et il préfère rester là où il est, sa femme est un amie d’enfance, d’un autre clan mais les deux familles se connaissaient bien, et Donnie souhaite faire aimer à ses filles leurs îles et leur peuple comme sa femme et lui-même les aiment. Aucun désespoir dans son discours, il dit même que les choses ont tendance à aller mieux, que les haidas sont plus respectés et mieux connus; aucune résignation non plus. Donnie ne comprend pas que la plus grande partie de leur forêt soit « crown land », terre de la couronne,et puisse être exploitée sans qu'on leur demande leur avis. Donnie accuse les gens de la Hudson Bay Company d’avoir sciemment et volontairement répandu le microbe de la variole parmi les haidas vers la fin du dix-neuvième siècle, avec le résultat que l’on sait, seulement trois cents haidas survivant en 1900 sur les dix mille qu’ils pouvaient être un siècle plus tôt. Et il est fier de son peuple qui dominait toute la côte depuis l’Orégon jusqu’à la Californie grâce à la qualité de ses bateaux et de ses navigateurs, grâce aussi au talent de ses peintres et sculpteurs il est fier du rôle qu’il joue dans la résurrection actuelle des cultures primitives des « first nations ».

Nous passons ainsi avec Donnie deux heures étonnantes, envoûtantes, de ces heures qui à elles seules justifient qu’on coure au bout du monde pour les vivre.

la photo ci dessous est celle du crochet à pieuvre que Donnie a dans la main sur la photo où il chante dans la maison