tourdumonde

si vous cherchez bien vous verrez Paule assise à une table de picnic

il y a des pins Douglas de huit cents ans qui atteignent quatre vingt mètres de haut et qui, curieusement ne sont jamais très larges à la base, ce tronc doit faire un mètre cinquante ou soixante, c'est un des plus gros que nous ayons vus

ces forêts sont absolument incroyables, par la hauteur et la densité des arbres, le nombre d'arbres cassés, déracinés, couchés, la mousse qui en recouvre beaucoup, la lumière rare et glauque, l'impénétrable petite végétation d'arbustes, fougères et plante diverses qui tapisse le sous bois.

 

nous en avons rencontrés trois aujourd'hui à Fort Rupert qui est une petite communauté indienne installée sur le territoire de la ville de Port Hardy (4000 habitants).

la partie de la ville peuplée d'indiens Kwakiutl est à quelques kilomètres du centre et ressemble à tous les faubourgs de ces petites villes de l'Ouest qui ont tendance à s'étendre démesurément, en un peu plus pauvre peut-être, mais cela ne respire pas la misère.

dans un atelier Calvin Hunt travaillait à un mât totem destiné à aller orner une petite ville de l'Ontario, tandis que son frère Tony fabriquait une rame traditionnelle.

devant la porte des troncs et grosses billes de bois de cèdre, sous un appentis, trois ou quatre canots ornés, et au dessus de l'atelier, une galerie contenant quantités de très belles choses, sculptures, paniers dont certains en écorce de cèdre, gravures, certaines faites par eux, et d'autres, notament les t-shirts et autres vêtements, venus d'ailleurs. Nous avons pas mal discuté avec eux qui paraissaient avoir la cinquantaine: gens modestes, le sculpteur de totem sculpte comme son grand père le faisait, ils ne se prennent pas pour des vedettes, ni pour Picasso.

quittant l'atelier nous nous approchons d'un grand mât totem, et nous en voyons deux autres à côté. Là un autre homme lui aussi de cinquante ou soixante ans sculpte un mât et il nous dit que ce mât est destiné à honorer la mémoire de son frère mort il y a un an. Les deux mâts érigés sur son terrain, et celui qu'il est entrain de fabriquer, il est presque achevé de sculpter mais il n'est pas peint du tout, sont vraiment magnifiques. Dans cet endroit, les mats totems sont assez différents des mâts haidas et sont certainement beaucoup plus colorés.

l'exporation de ce petit quartier guidés par les conseils de ces trois sculpteurs se révèle extrêmement fructueuse: autres mâts totems ornant l'école et le centre médical, canots ornés sur la plage, une espèce de grande fresque sur le musr d'un vaste bâtiment tout en bois et pratiquement sans ouverture dont nous ne déterminons pas à quoi il peut servir.

et le clou de cette visite est le cimetière le long de la plage: c'est encore là que l'on se convainc le mieux que l'art de ces indiens est un art vraiment vivant. Tout aussi beau, parfois plus maladroit car sans doute il n'y a pas que des artistes qui décorent des tombes, il est là en plus chargé d'une profonde émotion

du coup nous n'allons pas à Alert Bay, à vrai dire nous n'avions pas très envie de reprendre un ferry. Mais je pense que nous avons gagné au change

tout ce que nous avons vu à Fort Rupert, que personne ne visite, était vraiment très beau et sans doute plus authentique que ce que nous aurions trouvé à Albert Bay dans un centre d'interprétation largement publicifié 

 

depuis jeudi nous avons fait 28 heures de navigation, hier quinze heures, c'était un peu long, d'autant plus qu'il ne faisait pas beau du tout, alors que lundi pour revenir de Haida Gwaii il faisait un temps de rêve.

Les paysages quand même superbes tout au long de l'

"inside passage" que le bateau emprunte pour aller de Prince Rupert à Port Hardy où nous sommes, aussi beaux que les plus beaux fjords que nous avons déjà vus en Norvège ou en Nouvelle Zélande, mais avec une autre dimension, là, ça dure 500km.

 

Nous avons distinctement vu une queue de baleine. 

Nous avons heureusement sympathisé et beaucoup discuté avec quatre américains de Tacoma, tous les quatre un peu plus jeunes que nous mais aussi retraités et aussi à la recherche des civilisations primitives des first nations: des américains évolués et peu "bushistes".

 

pour répondre à une question implicite de Dominique, mon fils:

la nature est ici baucoup plus sauvage, naturelle que chez nous.

les troncs d'arbres qui jonchent les plages, les bords de lacs, les lits de rivières, les troncs qui en se décomposant dans l'eau des lacs et des rivières la colorent en rouge, tous ces trons n'ont été amenés par personne , ils tombent et seulement personne ne les ramasse.

Nous sommes au bord d'une longue plage merveilleusement sauvage, nous avons longuement traversé hier une forêt merveilleusement sauvage. 

 nous voulions aller voir les ruines d'un village haida, et grâce à une dame fort aimable qui tient une boutique d'art haida à Old Masset, nous avons été mis en contact avec Donnie, qui nous a emmenés au village de Yan, de l'autre côté de la baie, dans un petit hors bord, samedi matin. Cela a été un grand moment.

 

 

 

 

 

Donnie est très beau. Il a vingt neuf ans, il est marié et a deux filles. Il danse, chante et sculpte, il donne des cours de chant et de sculpture, mais aussi de culture haida, il accompagne de son chant les rameurs dans des compétitions d’aviron, il pêche et chasse et il est au premier rang des manifestations contre les forestiers que, visiblement, il n’aime pas. Alors que nous sommes toujours sur le rivage, il nous chante un chant destiné à apaiser les Esprits, de ceux qu'il chante dans les fêtes, quand on érige un mât totem, et c’est très émouvant. Il a une voix magnifique qui a, pour nos oreilles, des sonorités et des accents très étranges : c’est un chant lent, grave et puissant. La traversée de peut-être deux kilomètres ne dure que quinze ou vingt minutes, mais donne a un peu de mal à approcher le bateau du bord encombré d’algues et de rochers : nous avions déjà mis les pieds dans l’eau pour monter dans le bateau, nous les remettons pour en sortir, avec beaucoup de gentillesse, Donnie prête son bras à Paule pour qu’elle ne tombe pas.

Il ne reste hélas pas grand-chose du vieux village qui se composait d’une vingtaine de maisons tout autour d’une belle anse de galets. Des totems poles ont été emportés ailleurs et remontés ici ou là, et les maisons ont été vaincues par le temps et les intempéries. Récemment les haidas ont remonté une maison longue et un mât totem de la même facture que les autres de Old Masset. C’est dans la maison que Donnie nous régale d’un autre chant, guerrier cette fois et assez sauvage : c’est un chant qu’il chante dans les manifestations contre les forestiers. Après le chant, Donnie se raconte, avec simplicité et conviction : il pourrait vivre mieux sans doute ailleurs mais il aime ses îles et son peuple et il préfère rester là où il est, sa femme est un amie d’enfance, d’un autre clan mais les deux familles se connaissaient bien, et Donnie souhaite faire aimer à ses filles leurs îles et leur peuple comme sa femme et lui-même les aiment. Aucun désespoir dans son discours, il dit même que les choses ont tendance à aller mieux, que les haidas sont plus respectés et mieux connus; aucune résignation non plus. Donnie ne comprend pas que la plus grande partie de leur forêt soit « crown land », terre de la couronne,et puisse être exploitée sans qu'on leur demande leur avis. Donnie accuse les gens de la Hudson Bay Company d’avoir sciemment et volontairement répandu le microbe de la variole parmi les haidas vers la fin du dix-neuvième siècle, avec le résultat que l’on sait, seulement trois cents haidas survivant en 1900 sur les dix mille qu’ils pouvaient être un siècle plus tôt. Et il est fier de son peuple qui dominait toute la côte depuis l’Orégon jusqu’à la Californie grâce à la qualité de ses bateaux et de ses navigateurs, grâce aussi au talent de ses peintres et sculpteurs il est fier du rôle qu’il joue dans la résurrection actuelle des cultures primitives des « first nations ».

Nous passons ainsi avec Donnie deux heures étonnantes, envoûtantes, de ces heures qui à elles seules justifient qu’on coure au bout du monde pour les vivre.

 

la photo ci dessous est celle du crochet à pieuvre que Donnie a dans la main sur la photo où il chante dans la maison